Je mène depuis quelques années une double vie. Docteur
Jekyll et Mister Hyde au féminin : employée modèle le jour, et
escort-girl la nuit. Enfin, pas toutes les nuits, heureusement, je ne tiendrais
pas le rythme et aurais bien du mal à ne pas me faire démasquer…
Les clients me demandent souvent « comment j’en suis arrivée là », soupçonnant une peine d’amour, des soucis financiers ou quelques problèmes psychologiques mal réglés… Je ne rechigne pas à leur faire, en version courte ou en version longue, l’histoire de ma découverte du monde vénal, même si cette histoire suscite parfois l’incrédulité.
En effet, je peux dire que je suis
devenue escorte par hasard. Par défi, aussi. J’avais bien sûr ce fantasme en
moi depuis très longtemps. J’avais été plus que troublée devant certaines
scènes de cinéma, j’admirais les personnages de garce et celles qui jouaient de
leurs charmes avec assurance. Je convoquais assez souvent ce fantasme lors de
mes ébats, allant jusqu’à m’imaginer, perverse, que le bel homme qui me faisait
l’amour était en fait un client gras et repoussant que j’étais forcée
d’accepter contre une poignée de billets.
Il y a eu ensuite un concours de
circonstance, un faisceau d’événements qui m’ont conduit à franchir le pas. Une
discussion avec un ami sur les fantasmes, s’ils étaient faits pour être
réalisés, ou au contraire, gardés à double tour dans le coffre-fort de nos
têtes. Discussion qui s’était terminée par des considérations sur la prise de
la brièveté de la vie et encore plus de la jeunesse…
Une autre discussion un autre
jour, ou plutôt une dispute : ce même ami prétendait que j’étais plus
belle à 30 ans qu’à 20, et j’étais, malheureusement, convaincue du contraire.
Comme une boutade, à court d’arguments, il m’avait alors lancé « pour le
savoir il n’y a qu’une solution : envoie ta candidature à une agence de
call-girls, moi je suis sûr que tu seras retenue ». L’idée poursuivait son
chemin, petite souris dans les méandres de mon esprit…
A peu de temps de là, je fis la
lecture de Belle de jour, le roman de Joseph Kessel. J’avais vu le film de
Bunuel et avait été assez secouée par les scènes où Catherine Deneuve se fait
fouetter dans la forêt. Le livre m’a encore plus bouleversée car il décrivait
exactement mon désir secret, et mes atermoiements face à ce désir. Il est assez
stupéfiant que l’auteur, un homme, ait réussit à se mettre aussi bien dans la
peau de son personnage, à le comprendre ainsi de l’intérieur. Comme il l’écrit
dans sa préface : « Ce que j'ai tenté avec Belle de Jour, c'est de
montrer le divorce terrible entre le cœur et la chair, entre un vrai, immense
et tendre amour et l'exigence implacable des sens. Ce conflit, à quelques rares
exceptions près, chaque homme, chaque femme qui aime longtemps, le porte en
soi ».
Un fantasme très ancien, deux
discussions, un livre, la poudre était prête, ne manquait que l’étincelle… et
c’est là que le hasard intervint. Peut-être, à ce stade, serai-je devenue
escorte de toute façon, un jour ou l’autre. Il faut dire qu’Internet facilite
énormément les choses : à l’heure du Minitel, dans ma jeunesse, je ne
pense pas que cela aurait été aussi aisé.
Un jour, donc, en recherchant des
informations sur un site généraliste, je m’aperçus que dans la liste des forums
de discussion, certains avaient pour sujets la sexualité. Je vis que parmi ces
derniers figurait un forum « Prostitution ». Je cliquais, le cœur
battant. Telle Alice tombant dans le trou, j’ai alors découvert un monde
parallèle, un monde que je n’aurais jamais imaginé, dans lequel des hommes et
des femmes discutaient le plus librement du monde du sujet qui me passionnait
secrètement. Je parcourais fébrilement les sujets, lisais les diverses
interventions, mais très rapidement je sentis le besoin d’agir, déjà, de faire
un pas de plus… Je créai dans la hâte un pseudo et postai la question qui
allait me faire basculer du fantasme à la réalité.....
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