vendredi 17 juin 2011

Homo Erectus, de Tonino Benacquista

Le titre est trompeur, volontairement sans doute. On s’attend à lire les prouesses d’un surdoué du sexe, d’un Don Juan infatigable, et c’est l’Homme, avec toutes ses fragilités, toutes ses failles, qui nous est montré. Montré à « nous » les Femmes, car je pense que ce livre est d’abord destiné aux lectrices et qu’il a pour but de torpiller quelques-unes de leurs certitudes, de leur faire porter un regard neuf sur cette espèce à la fois si proche et si étrange.

Nous entrons donc comme en « caméra cachée » dans ce cercle, cette confrérie très spéciale où les hommes de toutes classes sociales se retrouvent pour livrer leurs histoires, déballer leurs déboires amoureux ou partager leur bonheur.
Ces histoires sont variées, étonnantes, émouvantes aussi. On suit particulièrement trois d’entre elles, trois personnages que rien de rapproche si ce n’est le fait d’avoir souffert par la femme – et de souffrir encore.
Ce livre serait déjà intéressant s’il n’abordait en outre le sujet qui nous occupe ici. Et là encore, ceux qui s’attendent aux clichés seront sans doute déstabilisés de voir un homme encore jeune et beau, du genre « qui n’a jamais eu besoin de payer pour ça », claquer toutes ses économies en escortes, s’approchant au plus près de la vérité des femmes.
Yves va explorer pendant un an un continent inconnu, avoir plus de maîtresses qu’il n’en aurait eu la vie « normale » qu’il était censé mené si un petit accident tout bête ne l’en avait dévié, entrer dans l’intimité de quelques-unes, et se composer un harem idéal de favorites variées et attachantes. Il va aussi, en chemin, se réconcilier avec l’idée de l’Amour.
Malgré la fin bêtement moralisatrice – Yves offrant à chacune de ses favorites la possibilité matérielle de « changer de vie », comme si elles subissaient finalement leur sort et n’étaient pas capables d’en changer elles-mêmes – cet ouvrage offre une nouvelle vision de la prostitution, en évitant les écueils de la caricature, du voyeurisme et du misérabilisme (auquel n’échappe pas la série récente Maison close, ainsi, semble-t-il, que le film primé à Cannes, L’Apollonide).
De très beaux passages décrivent des rendez-vous vénaux qui paraîtront peut-être idéalisés à certains, mais pas à ceux qui ont eu la chance d’en vivre de semblables.


Extraits (pour vous mettre l’eau à la bouche) :

-          Outside.
-          Outside ?
 Elle le toisa avec une lueur de doute et craignit un plan scabreux. elle en avait trop subi pour ne pas redouter l’imagination perverse du client.
-         Wher, outside ? Ja nie moge sobie pozwolié na chryje z policjantami !
Il devina le dépravé qu’elle voyait en lui, et la rassura d’un mot qu’il pensait universel :
-         Pique-nique.


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Tu sais, l'avantage d'une pute, c'est pas tant qu'elle fasse tout ce que tu veux, mais qu'elle s'en aille juste après.

Les Amies de pension - Villiers de l'Isle-Adam, 1888

Filles de gens riches, Félicienne et Georgette furent insérées, tout enfants, en ce célèbre pensionnat tenu par Mlle Barbe Desagrémeint.
Là, - bien que les dernières gouttes de lait du sevrage transparussent encore sur leurs lèvres, - une conformité de vues, touchant les riens sacrés de la toilette, les unit, bientôt, d'une amitié profonde. Leurs âges similaires, leur charme de même genre, la parité d'instruction sagement restreinte qu'elles reçurent ensemble cimentèrent ce sentiment. - D'ailleurs, ô mystères féminins! tout de suite, à travers les brumes de l'âge tendre, elles s'étaient reconnues, d'instinct, comme ne pouvant se porter ombrage.
De classe en classe, elles ne tardèrent pas à notifier, par mille nuances de maintien, l'estime laïque d'elles-mêmes qu'elles tenaient des leurs: le seul sérieux avec lequel elles absorbaient leurs tartines, au goûter, l'indiquait. En sorte que, presque oubliées de leurs proches, elles atteignirent, à peu près simultanément, la dix-huitième année, sans qu'aucun nuage eût jamais troublé l'azur de cette sympathie, - que, d'une part, solidifiait l'exquis terre-à-terre de leurs natures, et que, d'autre part, idéalisait, s'il se peut dire, leur "honnêteté" d'adolescentes.
Soudainement, la Fortune ayant conservé son déplorable caractère versatile et rien n'étant stable, ici-bas, même dans les temps modernes, l'Adversité survint. Leurs familles, radicalement ruinées, en moins de cinq heures, par le Krach, durent les retraire; à la hâte, de la maison Desagrémeint, - où, d'ailleurs, l'éducation de ces demoiselles pouvait être considérée comme achevée.
On essaya, tout aussitôt, de les marier, comme suprême ressource, par voie d'annonces, la seule risquable, sans trop de folie, en cette disgrâce. On dut vanter, en typographie adamantine, leurs "qualités du cœur", le piquant de leurs figures, le montant de leur gentillesse, leurs tailles, même leurs goûts réfléchis, leurs préférences pour l'intérieur; on alla jusqu'à imprimer qu'elles n'aimaient que les vieillards. - Nul parti ne se présenta.
Que faire?... "Travailler?..." Cliché peu persuadeur - et de pratique malaisée!... Une tendance portait, il est vrai, Georgette vers la confection; quelque chose, aussi, eût poussé Félicienne vers l'enseignement; - mais il eût fallu l'introuvable! savoir ces premiers débours d'outillage, d'installation, - débours que (toujours vu cette friponne d'Adversité!) leurs parents ne pouvaient plus avancer qu'en rêve! De guerre lasse, toutes deux, ainsi qu'il arrive trop souvent dans les grandes villes, s'attardèrent, un même soir, tout à coup, - jusqu'au lendemain midi et demi.
Alors, commença la vie galante, - fêtes, plaisirs, soupers, amours, bals, courses et premières! L'on ne voyait plus ses familles que pour offrir de petits services, - par exemple, des billets de faveur; quelque argent.

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