J’étais impatiente de voir le film de François Ozon : d’abord
parce que j’aime, en général, les ambiances qu’il parvient à créer, jouant sur
le trouble et l’ambiguïté sexuelle, comme dans Swimming pool ou Dans la maison,
ensuite bien sûr à cause du sujet. Pourtant, Dieu (ou le diable ! ;))
sait qu’on est souvent déçu par les films abordant la question de la
prostitution – mis à part quelques grands classiques. Je m’attendais donc à
être déçue, voire énervée devant une énième accumulation de clichés, de scènes
mélangeant voyeurisme et bien-pensance, mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige
à dire que tel n’est pas le cas. Je trouve ce film très juste, et très beau.
Alors bien sûr, des clichés, il y en a bien quelques-uns (le
« toc » de prendre des douches et de se savonner à mort après une
passe pour ne pas se sentir « sale », le client brutal, tordu ET
mauvais payeur) mais il y a surtout des choses bien vues, dans lesquelles je me
suis reconnue : des choses concrètes, comme les acrobaties pour se changer dans un café avant un rendez-vous, et des choses intimes, comme l’excitation
que procure une demande de sms qu’on lit, l’air de rien, dans un tout autre
cadre et auquel on répond presque à la barbe de ceux qui ne peuvent pas un
instant vous soupçonner de mener une double vie…
La presse a beaucoup insisté je crois sur l’absence d’explication
psychologique : pourquoi cette toute jeune fille se vend-elle alors qu’elle
n’a pas besoin d’argent, vit dans une famille aimante, sans souci particulier…
Ce genre de commentaire est bien révélateur de l’image qu’a encore la
prostitution, et même l’escorting (il faut avoir été abusée, droguée ou au
minimum être fauchée pour franchir le pas, sinon vraiment on ne voit pas…). Sans
parler de la polémique autour des propos du réalisateur, qui ne faisait que
révéler au grand public un secret bien gardé (oui, se prostituer est bien
un fantasme féminin très répandu ! Mais rares sont celles qui passent à l’acte).
Ici, donc, on serait frustré car on ne sait pas ce qui motive cette jeune et
belle personne… Mais le jeu de l’actrice est pourtant suffisamment explicite :
comme souvent, c’est un cocktail de causes, une petite déception face à une
première expérience somme toute banale (et non catastrophique, ça serait trop
facile encore une fois), une rivalité latente avec une mère trop belle, la
recherche du désir de l’autre quand on n’est pas très sûre du sien (selon le
modèle évident de Belle de jour), le plaisir de jouer avec son pouvoir de
séduction tout neuf comme avec un pistolet chargé…
L’âge, bien sûr, est une donnée-clé : 17 ans, comme
dans le poème de Rimbaud, la transition vers l'âge adulte, les rites d’initiation… Pour certains
c’est l’alcool et la drogue, pour d’autres ce sera le sexe, mais de toute façon
l’expérience des limites, et en cela l’héroïne n’est pas si différente de ses congénères.
On imagine un futur proche où les magazines pourraient titrer « Se
prostituer, la nouvelle coke », tant la banalisation du porno et la
facilité des rencontres sur Internet ont rendu la chose facile.
Mais au-delà du phénomène de société (dont on est loin d’avoir
encore mesuré tous les impacts, je pense), ce film aborde la vraie question :
pourquoi ne pas le faire ? En quoi une vie « normale », dans une
famille Ricoré, serait-elle supérieure à celle que vit notre héroïne en
cachette ? Comment pourrait-elle arrêter ? En cela, la fin surtout ne
m’a pas déçue : Ozon nous en propose d’abord une fausse, et j’ai eu un peu
peur quand l’image s’est arrêtée sur le pont aux cadenas d’amour, pour mieux
nous secouer avec la vraie. Une fin en bouquet final avec la magnifique
Charlotte Rampling, la seule, finalement, à comprendre Isabelle… avec quelques-un(e)s
d’entre nous !