vendredi 14 juin 2013

L'origine 1/2


Je mène depuis quelques années une double vie. Docteur Jekyll et Mister Hyde au féminin : employée modèle le jour, et escort-girl la nuit. Enfin, pas toutes les nuits, heureusement, je ne tiendrais pas le rythme et aurais bien du mal à ne pas me faire démasquer…


Les clients me demandent souvent « comment j’en suis arrivée là », soupçonnant une peine d’amour, des soucis financiers ou quelques problèmes psychologiques mal réglés… Je ne rechigne pas à leur faire, en version courte ou en version longue, l’histoire de ma découverte du monde vénal, même si cette histoire suscite parfois l’incrédulité.
En effet, je peux dire que je suis devenue escorte par hasard. Par défi, aussi. J’avais bien sûr ce fantasme en moi depuis très longtemps. J’avais été plus que troublée devant certaines scènes de cinéma, j’admirais les personnages de garce et celles qui jouaient de leurs charmes avec assurance. Je convoquais assez souvent ce fantasme lors de mes ébats, allant jusqu’à m’imaginer, perverse, que le bel homme qui me faisait l’amour était en fait un client gras et repoussant que j’étais forcée d’accepter contre une poignée de billets.

Il y a eu ensuite un concours de circonstance, un faisceau d’événements qui m’ont conduit à franchir le pas. Une discussion avec un ami sur les fantasmes, s’ils étaient faits pour être réalisés, ou au contraire, gardés à double tour dans le coffre-fort de nos têtes. Discussion qui s’était terminée par des considérations sur la prise de la brièveté de la vie et encore plus de la jeunesse…
Une autre discussion un autre jour, ou plutôt une dispute : ce même ami prétendait que j’étais plus belle à 30 ans qu’à 20, et j’étais, malheureusement, convaincue du contraire. Comme une boutade, à court d’arguments, il m’avait alors lancé « pour le savoir il n’y a qu’une solution : envoie ta candidature à une agence de call-girls, moi je suis sûr que tu seras retenue ». L’idée poursuivait son chemin, petite souris dans les méandres de mon esprit…

A peu de temps de là, je fis la lecture de Belle de jour, le roman de Joseph Kessel. J’avais vu le film de Bunuel et avait été assez secouée par les scènes où Catherine Deneuve se fait fouetter dans la forêt. Le livre m’a encore plus bouleversée car il décrivait exactement mon désir secret, et mes atermoiements face à ce désir. Il est assez stupéfiant que l’auteur, un homme, ait réussit à se mettre aussi bien dans la peau de son personnage, à le comprendre ainsi de l’intérieur. Comme il l’écrit dans sa préface : « Ce que j'ai tenté avec Belle de Jour, c'est de montrer le divorce terrible entre le cœur et la chair, entre un vrai, immense et tendre amour et l'exigence implacable des sens. Ce conflit, à quelques rares exceptions près, chaque homme, chaque femme qui aime longtemps, le porte en soi ».

Un fantasme très ancien, deux discussions, un livre, la poudre était prête, ne manquait que l’étincelle… et c’est là que le hasard intervint. Peut-être, à ce stade, serai-je devenue escorte de toute façon, un jour ou l’autre. Il faut dire qu’Internet facilite énormément les choses : à l’heure du Minitel, dans ma jeunesse, je ne pense pas que cela aurait été aussi aisé.

Un jour, donc, en recherchant des informations sur un site généraliste, je m’aperçus que dans la liste des forums de discussion, certains avaient pour sujets la sexualité. Je vis que parmi ces derniers figurait un forum « Prostitution ». Je cliquais, le cœur battant. Telle Alice tombant dans le trou, j’ai alors découvert un monde parallèle, un monde que je n’aurais jamais imaginé, dans lequel des hommes et des femmes discutaient le plus librement du monde du sujet qui me passionnait secrètement. Je parcourais fébrilement les sujets, lisais les diverses interventions, mais très rapidement je sentis le besoin d’agir, déjà, de faire un pas de plus… Je créai dans la hâte un pseudo et postai la question qui allait me faire basculer du fantasme à la réalité.....

jeudi 13 juin 2013

L'origine (2/2)



Bonjour Messieurs,
J'aurais besoin de vos conseils. Je souhaite devenir call-girl. J'ai visité les annuaires dont vous parlez, mais ils renvoient sur de vraies professionnelles, et je voulais savoir s'il n'y avait pas des sites pour des occasionnelles comme moi. De plus, je ne saurais pas trop fixer les tarifs (j’ai 30 ans, on me trouve jolie en général mais je n'ai pas la taille "mannequin" ). Merci d'avance.

Je cherchais à me persuader que cela ne coûtait rien de demander une information et que, bien sûr, cela n’irait pas plus loin, mais en réalité je me prenais déjà au jeu. Celui-ci devint étourdissant lorsque, très vite, je reçus des dizaines de « messages privés » d’hommes tous plus courtois et bien élevés les uns que les autres, qui proposaient de me guider dans cette jungle et surtout, caressaient l’espoir de devenir mon premier client. L’un d’entre eux me parut, non moins intéressé, mais plus sincère. Il sut me mettre en confiance et nous avons échangé, en une dizaine de jours, peut-être une centaine de mails. Il me parlait de ses voyages, de littérature, et surtout m’expliquait les règles du jeu de ce monde vénal.
J'ai accepté de le voir pour un déjeuner. J'y suis allée plus morte que vive, en ayant mille fois envie de faire demi-tour, mais dans un état d'excitation que je n'avais jamais connu.
J'ai reconnu son regard bleu (celui de la photo qu'il m'avait envoyée) dans le restaurant. Je me suis avancée vers lui, fascinée, comme si le petit chaperon rouge se jetait volontairement dans la gueule du loup. Mais il n'avait pas l'air si méchant de près... Nous avons discuté comme de vieux amis et j’ai pris quelques verres de vin pour me donner du courage. A la fin du repas, quand il m'a dit qu'il y avait un petit hôtel à côté et m'a proposé de l'y accompagner, je n'ai pas été si surprise, même si ce n’était pas prévu. J'ai eu à peine la force de dire oui, seulement celle de le suivre, les jambes cotonneuses et dans un état second. Le rendez-vous s'est bien passé, tellement bien que je me suis dit : « ce n’est que cela ». Le beurre et l’argent du beurre.
En rentrant chez moi, j'avais l'impression de revenir de très très loin, et je comptais les billets avec un vertige étrange. Pourtant, par méconnaissance du marché, j'étais loin à l'époque de mon tarif actuel, mais cela me paraissait déjà énorme. Je me suis précipitée dans un grand magasin et j’ai tout « claqué » dans une superbe robe noire en soie. Puis je suis rentrée à la maison accueillir ma famille qui venait fêter mon anniversaire.
Ce premier client a beaucoup compté pour moi. Notre histoire a été un peu compliquée par la suite, mais il continue, tous les ans, de me faire un petit coucou à l’occasion de ce jour « doublement mémorable ».