dimanche 7 novembre 2010

Signe particulier : escorte

Les courtisanes vénitiennes avaient leurs fameuses mèches d'un blond-roux, les geishas nouent leur obi dans le dos et leur chignon en « pêche fendue »
Au XIXe, les lorettes portaient souvent un châle jaune ou une robe aux couleurs vives (comme dans ce récit).
A toute époque les femmes qui ton fait commerce de leur charme avaient un signe distinctif, qu’il leur soit imposé par les autorités soucieuses d’ordre public ou qu’elles s’en servent comme « carte de visite » pour ne pas laisser de doute sur la nature de leurs activités.
Aujourd’hui, rien ne permet de repérer une escorte dans la ville. Si vous faites le pari que cette grande liane blonde aux talons de 15 cm et en minijupe, au bar d'un grand hôtel, en est une, je n’y mettrais quant à moi pas ma main au feu. Le style « pute » a fait des émules… la mode s’en est emparée ces dernières années et l’habit ne fait plus le moine...
D’autre part j’ai tendance à penser que les vraies escortes essaient plutôt de se faire discrètes, d’abord pour elles, pour se protéger, ensuite souvent à la demande de leur compagnon d’un soir qui ne tient pas à ce que tout le monde devine les modalités de leur relation.
Parfois, je me dis avec une pointe de regret que, même quand je me rends à un rendez-vous, toute apprêtée, personne ne peut deviner…
Le seul moment finalement où nous avons le sentiment de faire partie d’une autre « caste » est un moment que je ne trouve pas très agréable : quand, à la caisse d’un magasin, je tends des billets qui ne sont pas rouges, bleus ni orange mais verts ou jaunes. Je dois presque toujours affronter des réactions affolées de la caissière, qui parfois va jusqu’à ameuter son responsable et bloquer toute la queue. Je saisis également les regards des autres clients…
L’autre jour, achetant un netbook pour pouvoir écrire plus facilement ce blog, j’ai suscité l’étonnement bruyant d’un jeune homme qui attendait derrière moi. « C’est des vrais ??? pas possible ! j’en avais jamais vu !! ». Tout le monde se retourne, la caissière, qui pour une fois n’avait pas l’air méfiante, examine à présent les billets d’un air soupçonneux. L’opération dure quelques minutes un peu déplaisantes comme toujours. Mais en sortant j’ai pensé que c’était le prix à payer pour faire partie de cette confrérie secrète…


Initiation : du côté de Sodome (1)

Matthieu est un jeune client que je connaissais par une « collègue » qui, un jour, m’avait emmenée chez lui. Je l’avais revu quelques fois, nous avions discuté fantasmes et je lui avais fait admettre que le sien était d’avoir un expérience homosexuelle – cela me paraissait évident, vu le plaisir qu’il prenait à se faire sodomiser par un gode. Je lui avais alors parlé de mon ami Alexis, mais il avait d’abord écarté cette possibilité « un jour, peut-être.. ».
Il n’avait pourtant pas tardé à m’en reparler, l’idée faisait son chemin… De mon côté, j’avais envoyé un mail à Alexis, avec pour titre « Proposition indécente ». Je lui expliquai de quoi il retournait. Au courant depuis longtemps de ma double vie, mon meilleur ami, gay comme il se doit, était-il attiré par celle-ci ou un peu méprisant ? Jusqu’ici je n’avais pu le savoir. Il répondit pourtant avec empressement à mon mail et, lors d’une conversation dans un café, je lui exposai la situation en détails. Il était partant, ne restait plus qu’à trouver une date qui nous convienne à tous les trois. Rendez-vous fût donc pris pour dans 15 jours, 15 jours pendant lesquels je m’attendais à chaque instant à une défection d’un côté ou de l’autre. Mais le jour J, je reçu des sms de chaque côté me montrant que la pression montait bel et bien et que nous allions vraiment passer aux choses sérieuses…
Je retrouvai Alexis dans un café à côté de chez Matthieu. Je me sentais très enjouée et excitée. Il arriva, un peu tendu à l’inverse. Je le rassurai de mon mieux, tout en envoyant un sms à Matthieu pour le prévenir de notre entrée en scène imminente. Je grimpai l’escalier la première cette fois, notre hôte nous reçut comme de vieux amis. Il avait préparé une bouteille de champagne et des amuse-gueules. Nous nous installâmes sur son canapé, Matthieu osa s’asseoir entre nous deux. Je prenais mes aises comme si je le connaissais depuis longtemps, le taquinant, lui rappelant nos souvenirs communs.
Enfin je lui annonçai que j’avais imaginé un jeu pour nous mettre « in the mood » : s’il en était d’accord, je lui banderais les yeux et nous jouirions à colin-maillard. Il devrait deviner qui, de moi ou d’Alexis, allait le toucher, l’embrasser, le sucer… Il était bien sûr très partant. Nous commençâmes par lui défaire, à tour de rôle, les boutons de sa chemise. Je déposai ensuite un baiser sur son ventre et Alexis. en fit de même : Matthieu reconnut chacun d’entre nous. Je l’embrassai sur les lèvres, A. caressait ses cuisses, nous nous croisions sur ce corps sans défense et dans l’attente de nouvelles sensations. Il finit par ne plus savoir qui le prenait dans sa bouche et nous confondre.. j’avais donc gagné mon pari, un homme n’est pas plus doué qu’une femme pour cette caresse-là. Je lui enlevai le bandeau et nous continuâmes à nous entre-embrasser et nous entre-caresser..
Je quittai deux secondes mes compagnons, je les trouvais en revenant bien occupés l’un de l’autre. La greffe avait pris de la façon la plus simple et la plus naturelle possible, à croire que Matthieu n’était pas si novice qu’il avait voulu me le faire croire…

samedi 6 novembre 2010

Initiation : du côté de Sodome (2)

Je proposai peu de temps après de passer dans la chambre, où nos corps seraient plus à leur aise pour se déployer sur de multiples combinaisons. J’ai un peu perdu le fil de celles-ci, qui furent très variées : je suçai A. qui suçait M. ou l’inverse, M. me prit en levrette pendant que je suçai A…. 
Un peu plus tard, je m’empalai sur M. et A. vint derrière moi, j’eus envie de lui aussi en moi. Il me pénétra à son tour vigoureusement et je joui très fort. Il prit aussi M. de cette façon pendant que je lui susurrai à l’oreille qu’il était bel et bien en train de se faire prendre par un homme…


La résistance de mes deux compagnons m’étonnait. M. finit par jouir sur mon visage.
De retour dans son salon, en finissant le champagne, je câlinais Alexis en discutant, sans avoir envie de partir.. mais minuit avait déjà sonné et nous quittâmes les lieux du crime, contents d’avoir réussi si facilement l’initiation de Matthieu aux plaisirs de Sodome….

vendredi 5 novembre 2010

Cadeau

Sans doute parce que j’aime l’idée d’être une femme-objet, j’adore celle d’incarner un cadeau. La première fois que j’ai eu l’occasion de le faire, la destinataire était une femme, M., une « collègue » avec qui j’avais fait un peu connaissance et qui avait mentionné à son client préféré qu’elle aimerait passer un moment avec moi. Ne sachant que faire pour plaire à sa « princesse », celui-ci m’avait contactée pour lui faire une surprise. La surprise avait été un peu éventée ensuite, mais nous nous sommes bel et bien retrouvées un après-midi dans une chambre d'un hôtel toutes les deux toutes seules, le généreux donateur étant parti faire un tour. A son retour deux heures plus tard, il n’exigea – ni n’accepta d’ailleurs – de faveurs ni de moi ni d’elle, voulant montrer par-là à quel point son geste était désintéressé.

Sans doute inspirée par cet exemple, M. décida à son tour de me donner en cadeau à un autre de ses clients qu’elle aimait beaucoup et qui rêvait de faire l’amour avec deux femmes. Un soir qu’elle avait rendez-vous avec lui, elle me proposa de l’accompagner et il eut véritablement cette fois la surprise de voir une deuxième tête dans l’encadrement de la porte.
Un provincial m’écrivit un jour qu’il venait fêter son anniversaire à Paris, qu’il avait mis depuis des mois un peu d’argent de côté pour s’offrir une escorte et que son choix était tombé sur moi. Je trouvais l’idée séduisante au premier abord et acceptai, mais le regrettais un peu plus tard, car il était très angoissé à l’idée de mal placer ses économies et de gâcher cette soirée tant attendue. Je réussis cependant à le mettre à l’aise et il me dit plus tard avoir passé un merveilleux anniversaire.
Mais mon expérience en tant que cadeau la plus étrange fut celle que j'ai vécu avec P.

mercredi 3 novembre 2010

Le Monsieur du cinéma (1)

Je ne l’ai pas croisé par un forum, il ne m’a pas trouvée sur un annuaire d’escortes, personne ne lui a donné mon mail pour entrer en contact avec moi et mes demander mes tarifs ou la nature exacte de mes « prestations »…
Je l’ai rencontré un soir en allant au cinéma. Je n’étais ni bien coiffée ni maquillée, je portais – je m’en rappelle encore – un vieux jean et un t-shirt, mais si j’allais voir « Combien tu m’aimes ? », ce n’était tout à fait un hasard. Ce film de Tavernier, où la sublime Monicca Belluci est une « hôtesse de bar » (quasiment une pute de rue) qui se fait « engager » pour un mois par un pauvre type venant de gagner au loto, m’avait attirée alors que je faisais mes premiers pas dans l’escorting. Il s’était assis non loin de moi dans la travée. Nous avons beaucoup ri de concert. A la fin du film, il m’avait dit « je n’ai pas gagné au loto, mais je peux vous offrir un verre ». C’était quelque chose qu’il ne faisait jamais – maintenant que je le connais, je sais que c’était vrai. Nous avions parlé cinéma, littérature, je voyais le temps passer et je me disais « il faut que je lui dise ». C’était comme un défi personnel, et puis à qui aurais-je pu le dire d’autre, cet inconnu était l’oreille idéale. J’hésitais longuement avant de me lancer « si je suis allée voir ce film, c’est que j’ai un point commun avec l’actrice.. » « oui, c’est vrai, vous lui ressemblez un peu » « vile flatteur ! non ce n’est pas cela… je suis vénale ». Il ne comprit pas tout de suite, bien sûr. Je lui expliquai tout, comment j’étais « arrivée là », mes premières expériences, ma nouvelle double vie… il était fasciné.


Nous nous sommes revus non pas souvent ni régulièrement, mais de temps en temps, avec parfois de longues intermittences. Il m’invitait voir Marivaux, du flamenco, une exposition au jeu de Paume… Nous nous tournions autour, badinions, parlions de l’amour, du mariage, de la fidélité. Il n’avait jamais trompé sa femme, tout en étant arrivé à la conclusion que le désir s’éteint naturellement et que l’exclusivité sexuelle était une anomalie de la nature. Je lui prêtais des livres. Et j’attendais. J’attendais le jour où il me dirait « je veux prendre un rendez-vous avec vous ». Il me demandait souvent des nouvelles de ma vie d’escorte, mais ne s’était jamais présenté comme un client potentiel. J’avais des demandes à la pelle mais c’est celui-là que je voulais. Je ne l’ai pas vu pendant six ou sept mois – il était devenu papa pour la troisième fois. Et puis il a repris contact et nous avons renoué avec nos sorties culturelles, les cinémas, les cafés pour parler de la vie et de rien. Jusqu’à ce jour de printemps, où il me proposa de déjeuner en terrasse dans le 17e. La conversation partit comme d’habitude sur nos vies respectives, quand il m’annonça soudain qu’il avait pris sa décision. Il m’écrivit peu après :

Je suis ravi d'avoir pris, avec vous, une (pas)sage décision..Vous avez, je vous l'accorde, et après une âpre résistance, avec charme et persuasion, fini par l'emporter... Les mailles du filet (sans doute fait de fines dentelles) se ferment;
La loi de la Nature est ainsi faite, les proies résistent et cèdent à leurs prédateurs (qui ne leur veulent que du bien !). C'est donc avec confiance que je m'abandonnerai à mon (heureux) sort!

Il était enfin prêt, deux ans après notre première rencontre, à franchir le rubicon...

Le Monsieur du cinéma (2)

Il était enfin prêt, deux ans après notre première rencontre, à franchir le rubicon. Je lui préparais une véritable « initiation ». Je lui fis deviner par énigme notre lieu de rencontre (un petit hôtel que j’avais réservé moi-même pour ne pas lui compliquer les choses avec ces détails pratiques). Je lui demandais de m’attendre dans la chambre les yeux bandés. Je me souviens de sa voix, grave et émue, un peu inquiète : « vous êtes là, chère amie ? ». Je m’approchai de lui à pas de loup, lui caressai le visage de mes cheveux, dessinai ses lèvres de mes doigts. Je le griffai, je lui passai un léger plumeau sur tout le corps que je dénudais progressivement. Je lui mis dans la bouche des fraises, je fis couler du champagne dans sa gorge. Je le laissai découvrir en aveugle mes seins, ma taille, mon sexe… sa timidité trouvait un refuge dans l’obscurité dans laquelle je le maintenais. Je le chevauchai sans lui enlever le bandeau…

Il m’offrit ce soir-là, avec une jolie enveloppe contenant les billets, un petit livre animé, où l’on voit un jardinier arroser une boîte d’où sort une fleur qui l’arrose à son tour. Il avait écrit dessus « merci d’avoir ouvert la boîte de Pandore avec moi ». Le lendemain il m’écrivit ce petit mot :

Je voulais vous remercier encore pour cette délicieuse soirée passée en votre voluptueuse compagnie, de la délicatesse avec laquelle vous aviez organisé ce si attendu rendez-vous, et des charmantes intentions que vous m’avez prodiguées et fait goûter...
J’ai appris à vous connaître plus “profondément” et je ne regrette pas cette initiation plus intime, preuve que vous étiez la digne Ambassadrice des plaisirs des sens auprès de laquelle j’ai pu trouver ce doux terrain de négociations rapprochées...
J’ai pris beaucoup de plaisir à délier le ruban de soie, la boite mystérieuse est désormais ouverte j’en garde désormais un joli et doux souvenir, qui ne va pas s’estomper...

Je le vois non pas souvent ni régulièrement, mais de temps en temps, avec parfois de longues intermittences. Il m’écrit pour me proposer un cinéma, une exposition ou simplement pour prendre un verre et discuter de la vie et de l’amour. Et quelque fois, il me demande de poursuivre son initiation…

Les trois âges de la vie / Eux

- Il a 35 ans, il est encore pas mal ou bien il a déjà une petite calvitie et / ou une petite bedaine mais de toute façon peu importe, il ne peut plus draguer : cela lui est interdit ou ça lui attirerait trop d’ennuis et il se résigne d’avance.
On le voit en vacances au bord des piscines, l’air un peu abattu, comme un enfant puni, pourvu d’autres enfants- les siens- et d’une femme au physique agréable souvent mais au sex-appeal envolé, absorbée qu’elle est par les joies et les peines de la maternité.
Il risque un regard derrière ses lunettes de soleil, on sent qu’il a envie de s’échapper. Il n’ignore rien des bimbos du coin mais garde un air indifférent – il prend son mal en patience. Une fois rentré à Paris, une semaine ou deux avant sa petite famille, il me passera un coup de fil et se vengera sur moi de toutes les frustrations de son été.

- il a 50 ans, son élégance compense ou met en valeur les stigmates que la maturité a donné à son visage, à sa silhouette. Il a un air détaché et sûr de lui, cela se sent dans sa manière de commander le vin, de le goûter en connaisseur, ni blasé, ni démesurément enthousiaste.
Il contrôle sa vie, du cours de ses actions au tombé de ses costumes sur-mesure.
En face de lui à la table du restaurant (deux étoiles au Michelin) une femme que de dos on pourrait croire magnifique. Son corps est celui d’une jeune femme mais le cou et la tête accusent son âge, que les progrès de la cosmétique ni ceux de la chirurgie esthétique ne peuvent empêcher d’être le même que celui de son mari, à peu de choses près. Sa coiffure très permanentée et ses gros bijoux achèvent de la placer parmi ses contemporains. Elle est très bien habillée (Armani ou Azzaro ?), très sobrement et classiquement. Ils discutent aimablement, il a des attentions pour elle – s’il consulte de temps en temps son blackberry, qu’il a laissé sur la table, c’est que sa collaboratrice peut avoir besoin de le joindre pour une affaire importante, où plusieurs dizaines de milliers d’euros seront peut-être en jeu. Ce ne peut être que pour cela qu’il a ce geste impoli à l’égard de sa compagne, son « épouse » comme il dit quand il me parle d’elle. Mais peut-être aussi pour vérifier discrètement que le rendez-vous Hôtel Cupidon jeudi 13 tient toujours – 15h/17h, et qu’il n’aura pas besoin de booker une autre fille.

- il a 70 ans, ses yeux bleus pétillent comme ceux de Picasso. Mais le regard se fait dur de désir aussi parfois. Il sait ce qu’il veut et n’a pas de temps à perdre. Il adore la moto, la plongée sous-marine, le parachutisme, il aime prendre des risques.
Son corps a des exigences de jeune homme alors que les femmes le croient « retiré des affaires amoureuses », douloureux paradoxe. D’autant qu’il est particulièrement sensible au charme des très jeunes femmes, les femmes enfant, les femmes fleurs. Leur naïveté l’amuse et le séduit, alors qu’elle irriterait l’homme de 50 ans.
Il n’a pas d’autre choix, s’il n’est pas écrivain, chanteur ou photographe, que de leur faire discrètement des « propositions », ou bien de chercher sur missive la débutante qu’il « aidera à financer ses études ». Le temps passant, il lui donnera des conseils, la pistonnera peut-être – un jour, quand elle aura arrêté, elle viendra lui présenter son premier bébé.


Les âges de la vie / Elles

E. a 21 ans, elle est montée à Paris, elle veut percer dans la chanson, faire la Star’Ac ou créer son groupe de blues, elle ne sait pas trop encore. En attendant, il faut qu’elle paie son loyer, ses fringues, ses sorties – ses sorties surtout. Elle aime faire la fête, inviter ses amis, et les amis de ses amis, et aussi ceux qui n’étaient pas ses amis il y a cinq minutes mais qui vont bientôt le devenir. Elle se dit qu’elle a toujours le temps de prendre des cours de chant, et encore plus d’apprendre un vrai métier.
Surtout que depuis qu’une copine lui a filé le tuyau, elle met des petites annonces sur Boitesauxlettrescoquine.com, et se fait un rendez-vous de temps en temps, pour payer ses factures – ou ses dettes. Elle n’aime pas trop les clients, évite de les embrasser, et ne jouit pas avec eux. Pour tout dire ils la dégoûtent un peu, mais il faut bien vivre.

V. a 24 ans. Elle a déjà arrêté l’escorting trois fois- et repris deux fois. Elle alterne entre dire que c’est génial, que ça l’épanouit, que ça lui permet de poursuivre ses études et de faire des voyages culturels, et se plaindre que c’est affreux, que les hommes sont des salauds, qu’elle ne veut plus en voir un de sa vie. On la croit forte, elle est d’une fragilité maladive.
Est-ce qu’elle prend du plaisir ? J’ai quelques doutes. Nul ne le sait vraiment, pas même elle.

J. a 32 ans, elle vient de découvrir l’escorting et s’y est lancée à corps perdu. Les clients n’en reviennent pas, ils n’avaient jamais vu une furie comme ça. Quasiment de la nymphomanie, à ce stade. Mais bizarrement, quand au détour d’une conversation elle mentionne son ancien petit copain qui a eu l’audace de la quitter, je comprends un peu mieux…

G. a 36 ans. Elle avait oublié qu’elle avait un corps, et qu’il était désirable. Peut-être parce que son mari ne la regardait plus ? Un soir, sur un coup de tête, elle a accepté la proposition – vénale – d’un de ses contacts professionnels, sans trop y croire, comme si c’était un jeu. Et elle y a pris goût. A présent elle traîne dans les bars de grands hôtels, de temps en temps, et se laisse aborder, sourire aux lèvres. Généralement, ils ne sont pas si surpris que cela.

M. a 55 ans, mais personne ne le sait. Elle en prétend 39, et finalement on y croit, car elle est si enjouée, si animée, que personne n’a le temps de compter ses rides. Devenir escorte à l’âge où d’autres vont promener leurs petits-enfants au square, c’était un pari mais elle l’a brillamment remporté. Les hommes apprécient son appétit de la vie, du sexe, sa décontraction. Ils se sentent bien avec elle. Et pourquoi ne continuerait-elle pas.. jusqu’à 70 ans ?

La légitime

On ne peut pas s’empêcher, bien sûr, de penser à l’Autre. Est-elle blonde, brune ou rousse ? est-elle vieille ou jeune ? encore jolie ou décatie ? coincée, blasée, tendre ou cassante ?
Cette curiosité est souvent satisfaite, car rares sont les clients qui ne parlent pas de leur épouse à un moment ou à un autre du rendez-vous (je préfère après, pour ma part, mais c’est parfois avant, en tout cas rarement pendant, heureusement).
Je dois tout de suite préciser qu’ils en parlent tous avec respect. Un peu trop de respect peut-être.. « la mère de mes enfants »… c’est la traditionnelle opposition de la Maman et de la Putain – mais impossible d’imaginer les deux dans une même femme, évidemment. C’est déjà un début d’explication.
Je suis frappée du nombre de couples qui ne font plus l’amour. Plus jamais. Ils ont perdu le mode d’emploi, tourné la page, parfois depuis des années. Mais sans doute mon échantillon n’est-il pas tout à fait représentatif….
Il y a ceux qui aiment leur femme, la décrivent comme une complice, mais ne peuvent lui avouer tel fantasme particulier – se faire fouetter, la voir en guêpière de vinyl et bas résille, se faire prendre par un gode-ceinture (ou tout ça en même temps), par exemple.
Ils ont parfois essayé de s’aventurer sur ce terrain mais c’est elle qui a bloqué : « on regardait l’autre jour un reportage à la télévision sur les clubs libertins et ma femme a dit : mais c’est vraiment des malades ces gens-là ! j’ai compris que je ne pourrais jamais lui parler de mes envies ».
Il y a ceux qui le vivent mal, qui ne cessent de penser à Elle, même lorsqu’ils font l’école buissonnière. Un jeune homme m’a ainsi soutenu qu’il était minable quand il pensait à ce qu’il Lui faisait, les larmes aux yeux (c’était juste avant qu’il me chevauche sauvagement).
Il y a ceux qui le vivent trop bien, comme ce récent fiancé qui m’a sorti les photos de sa promise à peine les ébats terminés (« elle est belle, hein ? »).
En tout cas Mesdames, si vous tombez par hasard sur ce blog, sachez que vos maris vous aiment toujours, qu’ils vous désirent bien souvent, mais qu’ils ont besoin parfois d’un petit moment d’évasion. Cela ne prête pas à conséquence, il n’y a pas –en principe- d’implication sentimentale, en vous le rend en bon état, détendu, rasséréné, et prêt à être de nouveau un bon époux, un bon père… jusqu’à la prochaine incartade !

Malentendus

- on se fantasme en femme-objet, prise sans précautions, un peu malmenée, ramassant les billets épars sur la couverture après le départ du client – et on se retrouve à échanger des livres d’Henri James avec X, à lire des poésies baroques avec Y ou à remonter le moral de Z.

- on rêve de séduire avec pour seule arme son sourire, son regard, son 95C ou ses belles gambettes - et on s’entend dire que c’est notre connaissance des mécanismes des marchés financiers qui les fait craquer.

- on s’imagine qu’il leur faut des porte-jarretelles et des guêpières - et ils demandent quand ils pourront nous voir en jean et en T-shirt.

- on croit qu’ils cherchent des pratiques inédites, réinventer le kamasutra - et ils ronronnent de plaisir quand on leur caresse la nuque.

- on pensait que le plaisir masculin était simple, mécanique - et il se révèle fragile et parfois subtil, cérébral.

- on jurerait que l’argent les rend méprisants, avides de leur propre jouissance - et ils sont timides et prévenants comme aucun avant eux.

- on s’imagine mystérieuse, femme fatale, mata-hari - et ils veulent savoir comment va notre grand-père et si on s’est bien remise de notre gastro.

- on voudrait leur laisser un souvenir impérissable, les marquer au fer rouge…et ils nous ont déjà oubliée.

Dilettante

Il m’arrive souvent de penser aux autres, aux « vraies », celles qui ne jouent pas, qui ne font pas semblant d’être une escorte, celles pour qui c’est avant tout un gagne-pain.

 Comment font-elles quand le désir s’éloigne, quand le porte-feuille n’est plus gonflé de billets, mais qu’il faut payer le loyer ou la cantine du petit dernier ? Comment réussir à sourire, à faire plaisir, quand on n’a qu’une envie, rester au chaud sous la couette ?
Pour moi c’est facile bien sûr, je ne connais pas ces problèmes. Si Vénus s’éclipse dans mon ciel, j’attends le retour d’une constellation plus propice. Si je n’arrive pas à quitter mes jeans et mon col roulé, j’attends le printemps. Parce que j’ai les moyens de le faire, que ce n’est qu’un « hobby », lucratif certes, mais non nécessaire.

Et je ne parle pas ici de BKK ni de Madagascar, ni des chinoises de Strasbourg Saint-Denis, ni des africaines du foyer Sanagotra – je ne peux avoir l’audace de comparer ma situation à la leur, ni de deviner ce qu’elles ressentent. Je pense seulement à mes « collègues » moins chanceuses, celles qui ont choisi de ne faire que cela (ou qui n’ont pas trop eu le choix) mais qui exercent dans des conditions plutôt bonnes… si ce n’est qu’elles, elles n’ont pas vraiment la possibilité de refuser ou repousser un rendez-vous parce qu’elles sont fatiguées ou qu’elles n’ont pas bonne mine en ce moment.
Celles qui vont « au turbin » sans interroger d’abord leur libido, qui surmontent leur lassitude, se forcent à endosser leur déguisement de femme idéale et réussissent l’exploit de ne pas donner au client un seul soupçon… qui parviennent à lui faire croire que son impatience était partagée, que leur plaisir était au moins équivalent, alors qu’elles ne rêvent que de rentrer chez elles….
A toutes celles-là, la dilettante que je suis dit sincèrement : chapeau, l’artiste !