dimanche 25 août 2013

Jeune et jolie, de François Ozon : incompréhensible, vraiment ?



J’étais impatiente de voir le film de François Ozon : d’abord parce que j’aime, en général, les ambiances qu’il parvient à créer, jouant sur le trouble et l’ambiguïté sexuelle, comme dans Swimming pool ou Dans la maison, ensuite bien sûr à cause du sujet. Pourtant, Dieu (ou le diable ! ;)) sait qu’on est souvent déçu par les films abordant la question de la prostitution – mis à part quelques grands classiques. Je m’attendais donc à être déçue, voire énervée devant une énième accumulation de clichés, de scènes mélangeant voyeurisme et bien-pensance, mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige à dire que tel n’est pas le cas. Je trouve ce film très juste, et très beau. 

Alors bien sûr, des clichés, il y en a bien quelques-uns (le « toc » de prendre des douches et de se savonner à mort après une passe pour ne pas se sentir « sale », le client brutal, tordu ET mauvais payeur) mais il y a surtout des choses bien vues, dans lesquelles je me suis reconnue : des choses concrètes, comme les acrobaties pour se changer dans un café avant un rendez-vous, et des choses intimes, comme l’excitation que procure une demande de sms qu’on lit, l’air de rien, dans un tout autre cadre et auquel on répond presque à la barbe de ceux qui ne peuvent pas un instant vous soupçonner de mener une double vie…
La presse a beaucoup insisté je crois sur l’absence d’explication psychologique : pourquoi cette toute jeune fille se vend-elle alors qu’elle n’a pas besoin d’argent, vit dans une famille aimante, sans souci particulier… Ce genre de commentaire est bien révélateur de l’image qu’a encore la prostitution, et même l’escorting (il faut avoir été abusée, droguée ou au minimum être fauchée pour franchir le pas, sinon vraiment on ne voit pas…). Sans parler de la polémique autour des propos du réalisateur, qui ne faisait que révéler au grand public un secret bien gardé (oui, se prostituer est bien un fantasme féminin très répandu ! Mais rares sont celles qui passent à l’acte). Ici, donc, on serait frustré car on ne sait pas ce qui motive cette jeune et belle personne… Mais le jeu de l’actrice est pourtant suffisamment explicite : comme souvent, c’est un cocktail de causes, une petite déception face à une première expérience somme toute banale (et non catastrophique, ça serait trop facile encore une fois), une rivalité latente avec une mère trop belle, la recherche du désir de l’autre quand on n’est pas très sûre du sien (selon le modèle évident de Belle de jour), le plaisir de jouer avec son pouvoir de séduction tout neuf comme avec un pistolet chargé…


L’âge, bien sûr, est une donnée-clé : 17 ans, comme dans le poème de Rimbaud, la transition vers l'âge adulte, les rites d’initiation… Pour certains c’est l’alcool et la drogue, pour d’autres ce sera le sexe, mais de toute façon l’expérience des limites, et en cela l’héroïne n’est pas si différente de ses congénères. On imagine un futur proche où les magazines pourraient titrer « Se prostituer, la nouvelle coke », tant la banalisation du porno et la facilité des rencontres sur Internet ont rendu la chose facile.
Mais au-delà du phénomène de société (dont on est loin d’avoir encore mesuré tous les impacts, je pense), ce film aborde la vraie question : pourquoi ne pas le faire ? En quoi une vie « normale », dans une famille Ricoré, serait-elle supérieure à celle que vit notre héroïne en cachette ? Comment pourrait-elle arrêter ? En cela, la fin surtout ne m’a pas déçue : Ozon nous en propose d’abord une fausse, et j’ai eu un peu peur quand l’image s’est arrêtée sur le pont aux cadenas d’amour, pour mieux nous secouer avec la vraie. Une fin en bouquet final avec la magnifique Charlotte Rampling, la seule, finalement, à comprendre Isabelle… avec quelques-un(e)s d’entre nous !

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