mercredi 3 novembre 2010

Le Monsieur du cinéma (1)

Je ne l’ai pas croisé par un forum, il ne m’a pas trouvée sur un annuaire d’escortes, personne ne lui a donné mon mail pour entrer en contact avec moi et mes demander mes tarifs ou la nature exacte de mes « prestations »…
Je l’ai rencontré un soir en allant au cinéma. Je n’étais ni bien coiffée ni maquillée, je portais – je m’en rappelle encore – un vieux jean et un t-shirt, mais si j’allais voir « Combien tu m’aimes ? », ce n’était tout à fait un hasard. Ce film de Tavernier, où la sublime Monicca Belluci est une « hôtesse de bar » (quasiment une pute de rue) qui se fait « engager » pour un mois par un pauvre type venant de gagner au loto, m’avait attirée alors que je faisais mes premiers pas dans l’escorting. Il s’était assis non loin de moi dans la travée. Nous avons beaucoup ri de concert. A la fin du film, il m’avait dit « je n’ai pas gagné au loto, mais je peux vous offrir un verre ». C’était quelque chose qu’il ne faisait jamais – maintenant que je le connais, je sais que c’était vrai. Nous avions parlé cinéma, littérature, je voyais le temps passer et je me disais « il faut que je lui dise ». C’était comme un défi personnel, et puis à qui aurais-je pu le dire d’autre, cet inconnu était l’oreille idéale. J’hésitais longuement avant de me lancer « si je suis allée voir ce film, c’est que j’ai un point commun avec l’actrice.. » « oui, c’est vrai, vous lui ressemblez un peu » « vile flatteur ! non ce n’est pas cela… je suis vénale ». Il ne comprit pas tout de suite, bien sûr. Je lui expliquai tout, comment j’étais « arrivée là », mes premières expériences, ma nouvelle double vie… il était fasciné.


Nous nous sommes revus non pas souvent ni régulièrement, mais de temps en temps, avec parfois de longues intermittences. Il m’invitait voir Marivaux, du flamenco, une exposition au jeu de Paume… Nous nous tournions autour, badinions, parlions de l’amour, du mariage, de la fidélité. Il n’avait jamais trompé sa femme, tout en étant arrivé à la conclusion que le désir s’éteint naturellement et que l’exclusivité sexuelle était une anomalie de la nature. Je lui prêtais des livres. Et j’attendais. J’attendais le jour où il me dirait « je veux prendre un rendez-vous avec vous ». Il me demandait souvent des nouvelles de ma vie d’escorte, mais ne s’était jamais présenté comme un client potentiel. J’avais des demandes à la pelle mais c’est celui-là que je voulais. Je ne l’ai pas vu pendant six ou sept mois – il était devenu papa pour la troisième fois. Et puis il a repris contact et nous avons renoué avec nos sorties culturelles, les cinémas, les cafés pour parler de la vie et de rien. Jusqu’à ce jour de printemps, où il me proposa de déjeuner en terrasse dans le 17e. La conversation partit comme d’habitude sur nos vies respectives, quand il m’annonça soudain qu’il avait pris sa décision. Il m’écrivit peu après :

Je suis ravi d'avoir pris, avec vous, une (pas)sage décision..Vous avez, je vous l'accorde, et après une âpre résistance, avec charme et persuasion, fini par l'emporter... Les mailles du filet (sans doute fait de fines dentelles) se ferment;
La loi de la Nature est ainsi faite, les proies résistent et cèdent à leurs prédateurs (qui ne leur veulent que du bien !). C'est donc avec confiance que je m'abandonnerai à mon (heureux) sort!

Il était enfin prêt, deux ans après notre première rencontre, à franchir le rubicon...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire